
C’est la comparaison entre les attitudes d’enseignants de différentes cultures qui m’amène à cette réflexion sur notre éducation scolaire francophone, résultat de l’histoire de notre enseignement. Une caractéristique « bien de chez nous » qui ressort directement de cette comparaison est l’utilisation constante et pas toujours consciente du prisme de l’« évaluation négative, c’est-à-dire s’axer sur le verre à moitié vide, et stigmatiser le vide. Le mot « négatif », ici, est pris dans son sens « qui nuit, qui est néfaste ».
Bon nombre d’entre nous, qui avons subi ce type d’enseignement tout au long de notre jeunesse, connaissent bien cette autoculpabilisation, ce sentiment de risquer de ne jamais se sentir à la hauteur, de craindre avant tout le vide qu’on risque de montrer à l’évaluateur en oubliant tout le plein fait. Bref, éprouver la peur d’être mal jugé.
Quelques-uns des moyens culpabilisateurs usités en pareille circonstance :
- L’encre rouge.
- Le point d’exclamation qui suit la note, des fois que ni le rouge ni le montant de l’échec affiché ne suffisent.
- La remarque humiliante du professeur, et si c’est dans le bulletin, le supplément parfois adjoint par la direction.
- Le supplément oral quelquefois rajouté par l’enseignant devant toute la classe aux dépens de l’élève en échec.
- Les menaces du type : « Si tu continues comme ça, tu vas doubler, tu ne pourras rester dans notre école. Tu l’as bien cherché ! »
- À la vue des mauvaises notes, des commentaires négatifs écrits, viennent en plus, les remarques blessantes de parents, conformément à leur éducation.
- Etc.
Quelques questions utiles :
– Comment, dans ces conditions très culpabilisantes, l’élève vit-il une telle évaluation, de ses maternelles à sa majorité ?
– Quels types de relations construit-il avec lui-même, avec ses condisciples, ses proches, ou la société en général ?
– Le jeune finit-il par s’admettre ce regard « reproche » au point de se percevoir comme un élève nul, fainéant, peu intéressant, voire qu’il n’a pas sa place à l’école qu’il fréquente ?
– Sa famille se montre-t-elle positive, lui permet-elle de vivre des expériences valorisantes où il se sent heureux, fort, mis en avant ?
Une histoire vécue dans une école :
J’étais alors psychologue scolaire et professeur SEN (special educational needs), c’est-à-dire que j’y assurais aussi le suivi d’étudiants victimes de troubles spécifiques des apprentissages (TSA).
Voici deux réactions de professeurs lors d’une réunion destinée à « juger » les élèves.
L’une dans la section francophone, c’est-à-dire en majorité des enseignants d’origine francophone belge, française, grand-ducale, et l’autre, anglophone ; des enseignants surtout d’origine britannique et irlandaise.
Le sujet de cette réunion : « juger deux étudiants du secondaire qui éprouvent des difficultés similaires et qui sont en échec », un de chaque section.
Les réactions des « juges » :
– Côté francophone : « Il n’a pas sa place dans cette école ! »
– Côté anglophone : « Que pouvons-nous faire pour l’aider ? »
La question qui s’impose logiquement : À la place duquel de ces deux élèves voulez-vous être ?
Si vous préférez la place de l’étudiant de la section anglophone, alors que votre enfant est scolarisé dans une école classique francophone, vous aurez comme option :
- vous déménagez dans un autre pays, ou vous l’inscrivez dans une école internationale ou libre non confessionnelle, et donc acceptez de payer un minerval parfois de plusieurs dizaines de milliers d’euros par an,
- pour vous, pour les enfants et vous faites tout pour promouvoir une psychologie positive, une pédagogie collaborative ; vous n’acceptez plus cette passivité définie par une (mauvaise) raison culturelle « Oui, mais on ne peut pas changer les professeurs, c’est comme ça ! ».
EN RÉSUMÉ : Changer les professeurs, non, bien sûr, mais ne plus accepter telle quelle pour son enfant, l’évaluation négative injuste, oui ! Cela veut dire prendre le temps et l’énergie pour demander des explications, pour exiger que son enfant puisse être évalué autrement, et de manière formative, puisqu’il est à l’école pour être formé et apprendre à se former dans le respect de ses ressources d’apprentissage, de son intégrité psychologique.
Rappelons qu’une remarque humiliante dite devant la classe ou écrite dans un bulletin stigmatise la victime dans son sentiment d’incompétence, à long terme.
Ces commentaires vexants, parfois choquants, constituent aussi un miroir de la compétence de la personne qui les écrit.
Je sais d’expérience que les professeurs, pour la plupart, savent que notre école obligatoire doit changer de philosophie, mais ils ne savent pas comment faire. Ils sont aussi parents et voient ces profondes injustices qui résultent d’une pédagogie complètement dépassée, qui résulte d’un système scolaire qui rend de plus en plus malheureux de plus en plus de ses usagers (professionnels, parents, enfants).
Didier Bronselaer
Rappel important pour bien comprendre les mauvaises conditions pédagogiques et scolaires dans lesquelles les élèves ont vécu et vivent encore depuis mars 2020, et donc sur ces trois dernières années scolaires. En voici quelques-unes :
- Un manque de jours d’enseignement généré par les confinements et quarantaines. Trop d’étudiants du secondaire ont eu plus de 100 heures de fourche (absence professorale), voire plus, cette année scolaire ci (2021-22).
- Un grand manque d’encadrement scolaire, leur rythme de travail a été et est encore déstructuré.
- Un environnement familial, sociétal, soumis à des tensions inattendues, traumatisantes.
- Les élèves qui sont en 1ère, 2è et 3è primaire ont appris à lire, écrire et calculer dans de mauvaises conditions.
- Les étudiants de 1ère, 2è et 3è secondaire ont entamé leur secondaire dans de mauvaises conditions.
- Des pans des programmes n’ont pu être enseignés dans les temps, de trop nombreux enseignants n’en tiennent pas compte.
- Voilà trois années scolaires que l’élève voit son cadre scolaire se déstructurer dans le temps et l’espace, c’est éprouvant. Il ne faut pas sous-estimer la lassitude que cela peut générer auprès des apprenants, surtout s’ils sont victimes de difficultés d’apprentissage.
Courts articles complémentaires :
- PRÉVENIR le DÉCROCHAGE SCOLAIRE https://centredereussitescolaire.be/2019/04/28/prevenir-le-decrochage-scolaire/
- Le SURMENAGE SCOLAIRE.
1. Le comprendre https://centredereussitescolaire.be/2020/08/17/le-surmenage-scolaire-le-comprendre-le-soigner/
2. Le soigner https://centredereussitescolaire.be/2020/09/08/le-surmenage-scolaire/
Si vous avez d’autres sujets qui vous préoccupent et s’ils concernent les apprentissages, l’école, vous pourrez trouver des réponses (accès gratuit), en cliquant sur https://centredereussitescolaire.be/2020/02/24/plusde50-reponses-professionnelles-developpees-a-partir-des-questions-qui-nous-sont-posees-depuis-30-ans/
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3 thoughts on “L’Évaluation négative,et l’autojugement dévastateur”
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