L’école obligatoire et la métaphore de l’aquarium

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Notre conformisme ou culture scolaire peut s’imaginer comme les parois de l’aquarium que notre enseignement obligatoire s’est construites comme protection. Ces parois empêchent tout échange psychopédagogique avec l’extérieur ; son contenu « s’auto(dé)génère » depuis les années cinquante, empêchant ainsi toute rénovation. L’(énorme) problème est que le monde « hors aquarium », lui, il change tout le temps, si bien que le hiatus « dedans-dehors de l’aquarium » est devenu un abîme. Ce conformisme, je pense, s’avère par nature la 1ère raison du dysfonctionnement de nos écoles ; les programmes scolaires et l’évaluation sommative surtout, restent totalement inadaptés aux besoins et aux ressources d’apprentissage des jeunes apprenants.

Tant qu’une puissance extérieure suffisamment énergique ne forcera pas un profond changement intérieur à l’enseignement, rien ne bougera. Sera-ce l’intelligence artificielle, sous le costume de ChatGPT ? On verra, pour l’instant, en réaction à cette IA, plus d’une école dont les élèves utilisent un ordinateur du type « Google Chrome » bloque l’accès à ChatGPT, sans doute un effet, que j’espère momentané, de ce conformisme (peur de la nouveauté, peur de l’intervention d’une source difficile à maîtriser ?).

Et la COVID ?

À la suite des changements, des contraintes engendrées par les règles imposées en réaction à la pandémie de la COVID, j’ai espéré que le contenu de l’aquarium adopterait des modifications aux bénéfices des élèves, voire des enseignants, après tout il s’agissait d’une force extérieure jamais vue. Mais, déception, rien n’y a fait, les programmes demeurèrent « comme s’il ne s’était rien passé », les mois de non-enseignement furent ignorés par les enseignants ; l’élève n’avait qu’à apprendre les matières non vues par lui-même. Un an après, le (très mauvais) système d’évaluation sommative et certificative fut réactivé, comme si rien ne s’était passé.

Les parois de l’aquarium sont restées imperméables.

Et le pacte pour un enseignement d’excellence ?

J’ai lu le « Manuel pour les partenaires, un document PDF à télécharger par l’URL Pacte_pour_un_Enseignement_d_excellence_-_Manuel_pour_les_partenaires__ressource_17191_22sept22.pdf .

Pour ce qui est

  • de l’évaluation formative, elle y est très brièvement (mal)abordée,
  • – de la lutte contre le redoublement (un des grands objectifs), elle y est expliquée en l’opposant au passage automatique, sans vraiment remettre en question l’évaluation sommative ou certificative, le programme scolaire, et la didactique des professeurs, réelles causes des redoublements et des décrochages scolaires,
  • – du dossier d’accompagnement (un dérivé faussé du dossier d’apprentissage), il est défini comme un outil de diagnostic précoce, ce qui ne peut être ! L’évaluation diagnostique pluridisciplinaire des apprentissages appartient aux thérapeutes professionnels HORS système scolaire, et ses résultats appartiennent confidentiellement à l’élève et ses parents,
  •  – « du rythme scolaire », il est imposé (des millions de Belges voient leurs vacances, leur vie privée, impactées, sans qu’on leur ait demandé leur avis),
  • du même programme pour tous (tronc commun « …Le nouveau parcours d’apprentissage commun et renforcé pour tous les élèves, de la 1re maternelle à la 3e secondaire… »), il est envisagé paradoxalement, sans tenir compte que les ressources d’apprentissage des jeunes apprenants sont naturellement et injustement distribuées, et donc fondamenlement différemment appris,
  • de l’évaluation certificative, ou sommative, elles restent de mise,
  • des contenus des programmes, et de la didactique du professeur, ils y sont très peu abordés,

nous ne voyons pas pourquoi le dysfonctionnement de l’école obligatoire se résoudrait. Cela dit, depuis 10 ans qu’on en parle, l’école continue à aller de plus en plus mal. Cela dit, et de manière systémique, il s’avère une règle invariable : « on ne change pas un système qui dysfonctionne fort en s’appuyant uniquement sur les personnes internes à ce système, puisqu’elles contribuent plus ou moins consciemment, à la pérennisation de sa défaillance. »

Parents ! Surtout, ne prenez pas comme prétexte « on va voir ce que ce Pacte apporte » pour continuer à être passifs, car ça sera aux dépens de vos enfants et donc de vous. C’est aujourd’hui qui compte, et aujourd’hui, notre école va de plus en plus mal.

Les parois de l’aquarium restent imperméables.

Saviez-vous qu’il y eut une tentative de rénovation, voici 50 ans, aussi énergivore que celle du pacte pour un enseignement d’excellence ?

Les années septante ont vu l’essai d’une rénovation profonde de notre enseignement, son nom, « L’école rénovée ». Cette réforme de l’enseignement primaire, puis du secondaire visait à moderniser les programmes, les méthodes et les structures de l’école, en tenant compte des besoins et des intérêts des enfants. Elle a introduit la notion de cycles, de travail par projet (déjà présent dans les écoles à pédagogie ouverte), et donc indirectement, l’interdisciplinarité. Elle valorisait aussi l’évaluation formative et la lutte contre le redoublement.

Cette initiative demanda au moins autant d’énergie que celle dépensée depuis 10 ans dans le développement « du pacte pour un enseignement d’excellence ». Malheureusement, les autorités politico-scolaires, les parents, ne lui laissèrent pas le temps de montrer ses avantages ; les différences (programmes diversifiés, évaluation formative à la place de la sommative, notamment) leur firent peur, et ils crurent que les enfants seraient beaucoup moins bien formés. Cette initiative, qui avait des points communs avec la rénovation de l’enseignement en Finlande, fut sabotée. Rappelons qu’à l’époque, l’école, comme aujourd’hui, allait très mal, le nombre de redoublements s’avérait déjà très élevé. Bref, notre école obligatoire continua jusqu’à ce jour à se montrer la plus « mauvaise » d’Europe, si on tient compte de son coût financier énorme, mais aussi son coût social et psychologique, douloureux.

Les parois de l’aquarium demeurèrent donc imperméables.

Remarque : J’ai bénéficié de l’enseignement vraiment rénové de 1974 à 1977, dans un athénée, ce fut pour moi un vrai bonheur, une forme de résurrection. Pour l’anecdote, tous les élèves de ma classe réussirent leurs études supérieures.

Le filet de sécurité familial, qui lui se situe à l’extérieur du bocal, heureusement, continue son indispensable travail.

Comme toujours, ce sont les familles qui assurent le suivi (sans faille ?) de leur enfant, malgré l’inertie de l’école. Le taux de redoublement, de décrochage scolaire, d’absentéisme professoral, eux, ne s’améliorent pas.

Bien sûr, la pédagogie collaborative qui a largement fait ses preuves à l’étranger, mais aussi chez nous, dans des écoles à pédagogie ouverte est un excellent outil pour favoriser la réussite scolaire des élèves, mais nos autorités politico-scolaires ont toujours cassé les initiatives qui remplaçaient l’évaluation sommative, qui est une forme d’évaluation qui limite la réussite des élèves. Il s’agit d’une vraie volonté de cesdites autorités, « si tous les élèves réussissent, où va-t-on ? », dixit un inspecteur de l’enseignement.

L’aquarium qui s’autogénère, et qui s’auto-immobilise

Situé hors de l’aquarium, le Centre de Réussite Scolaire, par sa transdisciplinarité, constitue un observatoire indépendant idéalement placé pour examiner la vie dans cet aquarium. Depuis 1986, nous constatons qu’elle reste conforme au passé, imperméable aux transformations constantes de l’extérieur et donc aussi indépendante des riches ressources de cet extérieur.

Et pour clore, cette forme de passéisme que constitue l’immobilisme de notre école me fait penser à cette phrase de Marguerite Yourcenar (décembre 1979, Marguerite Yourcenar et le conformisme – mediaclip (ina.fr) )

« Le conformisme est une misérable maladie, elle vous empêche d’exister. Les gens véritablement conformistes n’ont pas vécu. »

Notre conformisme ou culture scolaire peut s’imaginer comme les parois de l’aquarium que notre enseignement obligatoire s’est construites comme protection.